Il y a un an, on parlait en Europe de «crise migratoire», les arrivées de migrants avaient augmenté de 85 % par rapport à 2014. Après les naufrages de l’été en Méditerranée, la photo d’Aylan secouait enfin les consciences : appel du Pape, prise de position courageuse de la chancelière allemande, Angela Merkel, sommet européen… Pour le politiste François Gemenne, le problème est surtout mal posé : l’Europe «n’accueille» qu’une infime partie des réfugiés et surtout les débats sont en décalage avec la réalité, les responsables politiques européens sont surtout préoccupés par le tri entre migrants économiques et réfugiés politiques.
Avec Dina Ionesco et Daria Mokhnacheva de l’Organisation internationale pour les migrations, il a publié avant l’été un formidable Atlas des migrations environnementales (Sciences-Po Les Presses), dans lequel ils expliquent combien les migrations sont toujours multifactorielles et surtout bien trop complexes pour être rangées dans des catégories artificielles : les réfugiés sont aussi des migrants (et vice-versa), aucun départ n’est foncièrement volontaire ou forcé. Dégradations environnementales et conflits s’imbriquent souvent.
On estime à 26 millions le nombre de migrants environnementaux. Comment définir la «migration environnementale» ?
Cette notion recoupe un spectre de situations extrêmement large. Cela peut désigner aussi bien des migrations provoquées par une catastrophe naturelle, géologique comme un tremblement de terre, ou hydroclimatique comme les typhons, les sécheresses. Mais à l’opposé du spectre, le terme désigne aussi certaines migrations de confort, comme le tourisme ou une retraite prise au soleil. Ces dernières peuvent avoir des conséquences très diverses. Economiques, bien sûr, mais aussi politiques.
En Floride par exemple, les retraités venus du nord sont nombreux, ce qui en a fait l’Etat américain le plus âgé. Ce changement démographique a eu un impact politique considérable : si la Floride n’avait pas été aussi âgée, on peut imaginer qu’elle aurait voté pour Al Gore à l’élection présidentielle américaine de 2000, et la face du monde en aurait été changée.
Vous soulignez le caractère multifactoriel des migrations qui peine à être pris en compte…
On essaye de faire rentrer les migrants dans une catégorie, selon le motif de leur migration, alors que beaucoup de raisons interagissent avant de mener au départ.
Les facteurs environnementaux étaient davantage considérés à la fin du XIXe siècle dans les premières théories des migrations. Depuis 1945, la lecture des flux est beaucoup plus politique, avec la distinction entre réfugiés politiques, fuyant la guerre, et migrants économiques. Alors qu’on avait auparavant une vision multifactorielle des flux migratoires, on se réfère aujourd’hui à des catégories arbitraires et artificielles, essentiellement à partir du droit international mis en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Or notre régime juridique comme nos politiques migratoires sont en décalage complet avec les réalités migratoires actuelles. Le motif environnemental n’est pas pris en compte et la différence entre migration économique et politique est artificielle.
Toute la nouvelle: http://www.liberation.fr/debats/2016/08/29/francois-gemenne-le-motif-environnemental-des-migrations-n-est-pas-pris-en-compte_1475313